mercredi 20 février 2008

Atterrissage forcé au milieu d'un no man's lands

Les paroles du steward sont révélatrices: cet avion est le vilain petit canard de la compagnie Aeroméxico. Pas de petites télévisions incrustées dans les sièges, pas de jeux vidéos, pas de films à choisir à sa guise. L'appareil est assez vieux. Mais à ce moment là, ça ne m'importe pas vraiment. Je suis dans l'avion, munie de mon nouveau passeport éléctronique et de mon ancien passeport annulé, qui comporte mon visa pour le Mexique. En moins de deux heures, j'ai déjà terminé le roman "Jules et Jim" que ma cousine m'a offert pour Noël.

Je me mets à observer quelques bribes de Ratatouille, bien que je l'aie déjà vu. Au milieu du deuxième film, l'image s'interrompt et l'écran devient tout noir. Ca sent le brulé. A six heures de vol, le système éléctronique lache déja! On nous annonce une descente vers "Goose Bay". Goose Bay? C'est où ça? Je ne savais même pas qu'on avait une escale. En fait, il s'agit d'un atterrissage d'urgence, pour des raisons de sécurité. Où nous sommes exactement, je n'en ai aucune idée. La baie se situe côté est du Canada, vers le Groenland. Nous atterrissons sur une piste enneigée, à travers d'un paysage immaculé. Nous restons trois heures dans l'avion, sans aucune nouvelle de ce qui se passe. Finalement, le commandant nous annonce que les techniciens locaux n'ont pas réussi à réparer la panne et que nous devrons attendre demain la venue de techniciens de la compagnie. Repartir DEMAIN? Passer une nuit ici, dans l'avion??! C'est pas possible.

Les 200 passagers et quelques descendent de l'avion, se confrontant au moins dix degrés de température qui n'ont rien à voir à ce qu'ils attendaient au Mexique. Je me remercie intérieurement d'avoir été prévoyante et de ne pas seulement avoir apporté qu'un T-shirt. Deux camions nous attendent, direction les bureaux d'immigrations.

Situation géographique de Goose Bay

Je m'assois à côté d'un jeune garçon. Il n'a rien d'un mexicain: yeux bleus, joues roses, et une cascade de boucles blondes qui jaillissent de sa tête. Il a l'air angélique, et ce n'est pas pour rien qu'il s'appelle Rafael Alatriste. Il est rentré dans ma vie comme un coup de la destinée. Au fur et à mesure que nous discutons, les coïncidences nous paraissent impressionnantes. Il était en France (logique pour un vol Paris-México)...à Poitiers (ce qui paraît tout de suite moins logique)! Je lui dis que je suis au TEC de Monterrey, campus Ciudad de México. Lui aussi!!! Première coïncidence. Quand je lui explique je suis seulement en échange et qu'en fait j'étudie à Sciences Po Paris, il me demande tout de suite: "Quel campus???!" Je réponds Poitiers, en pensant qu'il ne va pas connaître. C'est tout le contraire: il est allé en France JUSTE pour visiter le campus délocalisé de Sciences Po Paris à Poitiers, connu sous le nom de cycle Amérique latine, Espagne et Portugal. C'est excellent. Il veut y rentrer par la procédure internationale. Je lui réponds que ce n'est pas facile d'entrer, et qu'il faut un très bon dossier. "T'inquiète pas, me réplique-t-il, je fais partie des nerds!"

L'office d'immigration ressemble à un grand entrepôt. Je passe devant le policier, qui a l'allure digne d'un personnage tiré d'un roman de Stephen King. Massif! Il me fait un grand sourire, en voyant que mon passeport est flambant neuf. "Première utilisation?" me demande-t-il en anglais canadien. J'aquiesce. Il me répond qu'il est très honoré d'apposer le premier cachet. D'un geste certain, il écrase le cachet contre la page du passeport, qui indique désormais en violet: Goose Bay, 11th January 2008. Bien plus qu'un souvenir, toute une aventure. L'humour du canadien m'a touchée. C'est comme une première bribe de chaleur humaine locale dans ce froid enneigé.

Rafael est tout excité, car c'est la première fois qu'il voit de la neige en vrai. Il piétine dedans, la ramasse à mains nues, la lance dans l'air glacé...La nuit tombe, et nous devons remonter dans les autocars qui nous mèneront vers l'hôtel. Un premier groupe descend. Je descends avec Gabriel au niveau de l'hôtel Hamilton. A la réception, je reçois les clés de la chambre 101. Gabriel tombe miraculeusement sur la suite royale, chambre 102. Elles sont confortables, avec téléphone et surtout WIFI! Je me dépêche de me connecter à Internet pour informer tout le monde. La compagnie Aeroméxico a annoncé qu'elle nous paierait les communications téléphoniques. Ma mère réagit en paniquant, et m'interdit de remonter dans ce maudit avion. Je crois que je n'aurai pas le choix. Je suis inquiète, car Marck doit être à l'aéroport en train de m'attendre. J'espère qu'il est courant du problème, et lui envoie un mail lui expliquant la situation.

Gabriel toque à la porte. Je bénis le ciel de me l'avoir envoyé.
Il est enthousiasmé par l'idée que depuis Goose Bay - la Baie des Oies-, on peut observer des aurores boréales vers minuit. "Tu savais que Goose Bay était une ancienne base militaire de l'OTAN?" me demande-t-il. Il m'explique que le lieu est stratégique car il est un point de départ équidistant des pays les plus importants de l'OTAN. Je lui montre toutes les photos de mon album Poitiers, pour lui donner une idée de l'ambiance latino. Il trouve ça génial, et me confirme en rigolant que je suis assez colporteuse de ragots. J'assume, car il est vrai que je m'intéresse à toutes les histoires de chacun.

Nous dînons dans le Jungle Bar de l'hôtel, dont la décoration tropicale contraste fortement avec ce qu'on peut observer par la fenêtre. A l'intérieur, couleurs et lumières chatoyantes, et dehors, un désert de neige. Le repas est sommaire: des sandwichs, du poulet pané froid, une canette de soda et des biscuits. Je retourne avec Alatriste vers ma chambre, pour continuer la conversation. Marck a répondu à mon mail: il m'a longtemps attendue à l'aéroport, a loupé son cours de kick-boxing, et en résumé
en a marre. Ne trouvant pas dans son courrier quelconque trace d'inquiétude pour moi, je boude. Avec Rafael, j'ai le regard tourné vers la fenêtre, guettant l'arrivée de l'aurore boréale, en vain. Il retourne à sa chambre, fatigué, car il est quand même six heures du matin, heure française. Une fois dans sa chambre, Rafael continuera a scruter pendant trois heures un ciel noir d'encre, dans l'attente du miracle.


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